Faibles performances des zones de santé au Kasaï Central, République Démocratique du Congo : la gouvernance mise en cause

Malgré les différents appuis dont elles bénéficient de la part des partenaires, les zones de santé (ZS) au Kasaï Central présentent des faibles performances dans les différents piliers du système de santé. Cette situation s’observe depuis la survenue des conflits ethnico-militaires dits « phénomène Kamuina Nsapu » entre 2016-2018. Préoccupés par cette situation, les décideurs et les chercheurs en politiques et systèmes de santé s’interrogent sur d’éventuelles causes de cette problématique. Il semble qu’il existe plusieurs causes ou facteurs explicatifs de cette situation. Cependant, nous estimons que les problèmes liés à la gouvernance de ces ZS en sont la principale cause.

Une enquête qualitative récemment menée dans une ZS située dans la ville de Kananga, chef-lieu du Kasaï Central, qui a utilisé le cadre de Mikkelsen Lopez et collègues, a révélé de nombreux problèmes dans deux dimensions de la gouvernance, à savoir : la transparence et la redevabilité. Le diagnostic a été fait conjointement avec les participants à l’entretien.

À propos de la transparence, la gestion des ressources financières a été décriée par certains acteurs rencontrés. Six sur dix membres de l’équipe-cadre de ZS interviewés ont déclaré qu’ils sont souvent informés pour d’autres choses qui concernent la gestion de leur ZS, mais pas pour ce qui concerne l’argent. Ils ont affirmé que cette façon de faire de leur chef décourage les travailleurs. L’un d’entre eux a indiqué que : « tout n’est pas clair car l’information nous est donnée chaque fois qu’une activité se déroule, mais les informations financières passent sous coulisses… et ça nous démotive ! ». Pour certains, l’affaire des finances est gérée exclusivement par l’administrateur gestionnaire (AG) et le médecin chef de zone (MCZ). Trois acteurs ont confié en ces termes : « … tout financement vient de nos partenaires, mais il n’y a pas du tout transparence… un arrangement se fait entre le MCZ et l’AG » [Int-1-2-3]. Ils émettaient des avis divergents sur la répartition des primes locales mensuelles touchées. Ils ont communiqué discrètement que la clé de répartition est connue seulement par le chef (MCZ, ndlr) et l’AG. Quatre l’ont souligné en ces termes : « personne ne connaît ce que son collègue touche comme prime locale… » [Int-2-4-5-9]. Ce traitement jugé inéquitable par certains semble être à l’origine de : l’insatisfaction, la colère, la démotivation, parfois le repli sur soi ou l’abandon des tâches confiées. Ils le disaient de différentes manières. On pouvait entendre, par exemple : « je suis souvent prêt à abandonner le travail… » [Int-8-10] ; « Je conclus seulement qu’à chacun son tour… » [Int-7] ou « cela ne me satisfait pas, je reste calme pour ne pas avoir des problèmes avec mon chef » [Int-4]. Certains participants laissaient entendre qu’ils utilisent la stratégie d’évitement tel que l’ont affirmé deux d’entre eux en ces termes : « Certes, il y a souvent partage inéquitable des petites sommes d’argent » [Int-7] ; mais « …nous évitons des problèmes… nous l’évitons car il est prêt à faire partir quelqu’un lorsqu’on touche à ses intérêts… » [Int-3-4].

S’agissant de la transparence dans la gestion des ressources humaines, il semble que la procédure de signalisation des présences au service est une obligation pour les administrés et non pour les gestionnaires« le registre collectif des présences est régulièrement signés par les subalternes et non par le chef… » [Int-3-4-6]. Les acteurs indiquent que les engagement et l’avancement en grades sont souvent une question politique. Il arrive que l’on engage les nouvelles unités au poste de directiont nous voyons souvent la personne déjà engagée, et nous comprenons seulement que c’est la hiérarchie… nous prenons seulement acte » [Int-8].

La transparence dans la prestation des services a été analysée. Elle s’observe de manières différentes. Certains participants ont déclaré qu’il y a une gouvernance transparente dans l’offre des services, en affirmant que les travailleurs ont un esprit d’équipe. Deux l’ont déclaré comme suit : « tout se fait sur base de la planification… ensemble » [Int-1-3] ; et deux autres d’ajouter : « …chacun s’efforce pour connaitre ce que son collègue fait… » [Int-2-4]. La qualité de services offerts n’est parfois pas bien appréciée par les membres de l’équipe de soins. parfois complexés ; ils sont parfois menacés lorsqu’ils commettent une erreur dans l’offre de soins et se voient, de ce fait, en difficultés. L’un a souligné ce qui suit : « nous faisons de notre mieux pour cacher nos erreurs techniques pour éviter des sanctions … » [Int-4].

Concernant la redevabilité, les répondants de la ZS enquêtée pensent que c’est la communauté qui est redevable, parce qu’elle constitue le bénéficiaire. Cette idée a été plus enrichie par quelques participants qui ont indiqué ce qui suit : « c’est la communauté qui est le grand bénéficiaire… ; pour cela ils sont obligés de nous rendre compte… » [Int-3-2-5]. Les participants ont estimé que l’un des obstacles à l’application de la redevabilité est le manque de formation sur le thème. Ceci a été soutenu par trois répondants : « c’est le manque d’information dans la matière de redevabilité on peut être redevable si on sait ce qu’il faut faire » [R1-2-3]. 

La ZS bénéficie depuis 2014 des appuis de quelques partenaires tels que « SANRU, USAID, BDOM, Banque Mondiale, IMA, UNICEF, Caritas, Vision Mondiale et Médecin du Monde » [R1-2-3-4]. Mais, les acteurs de la ZS n’ont pas encore bénéficié d’une quelconque formation sur la redevabilité. D’où, ils ne savent rien faire quant à la redevabilité en santé.

De ce qui précède, deux questions cruciales sont soulevées : Peut-on espérer à court terme une amélioration des performances des districts sanitaires au Kasaï Central si toutes les dimensions de la gouvernance posent problème ? Si non, quel est alors le profil idéal des gestionnaires capables de relever les défis de gouvernance des districts sanitaires au Kasaï Central en particulier et en RDC en général ? Il s’avère nécessaire de creuser en profondeur la question de la gouvernance des districts sanitaires, si l’on souhaite améliorer leurs performances.

PS : Remerciements à Jacques Pedrito et à Gilbert Mulumba pour avoir participer à la collecte de données qui nous ont permis d’élaborer cet article de blog du CCSC-asbl.

Par Erick Mukala Mayoyo

 

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